"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

mardi 11 décembre 2007

Jan Appel autobiographie



UNE VIE POUR LA REVOLUTION

Ou

BREVE AUTOBIOGRAPHIE D’UN REVOLUTIONNAIRE PROLETARIEN

(trad. En français pour la première fois par JLR, 5 novembre 2007)

Avertissement:

La longue vie du révolutionnaire marxiste Jan Appel mériterait un imposant ouvrage tellement elle est riche d'une expérience hors du commun. On peut trouver un résumé et la version anglaise de cette traduction sur le site Smolny.

Peu d'hommes au XXe siècle peuvent prétendre avoir occupé une telle place dans la lutte historique de la classe ouvrière. Simple ouvrier des chantiers navals en Hollande et en Allemagne, Jan Appel se retrouve carrément à la tête des Conseils ouvriers en Allemagne et membre de la direction du KAPD. Il est régulièrement élu aux comités de grève par les AG des grèves où il est présent. Il ne reste pas simplement un acteur puisque dans toute la deuxième partie de sa vie qui se confond avec le dur repli, que nous nommons contre-révolution, il se livre à des travaux théoriques profonds sur la perspective du communisme à un niveau inégalé depuis Marx.

Deux remarques sur ma traduction, qui comporte peut-être des erreurs, j'ai traduit le terme venant de l'allemand pour caractériser les comités d'usine par syndicats, car, contrairement à des traductions ultra-gauches superficielles de l'après 68 (la mode était au conseillisme qui est aussi menteur en histoire que les gauchistes lambda) il s'agissait bien de syndicats radicaux (éqauivalents aux premiers shop stewards britanniques). Preuve qu'on ne se débarasse pas aussi facilement su syndicalisme même en période de révolution. Même si le KAPD avait pour mot d'ordre "hors des syndicats", la preuve qu'on était pas sur la voie de la montée fût que les travailleurs allemands eurent encore d'énormes illusions sur la forme de la délégation syndicale (artificielle et cloisonnée).

On remarquera aussi la parfaite froideur de la rencontre avec Lénine. En général, Appel n'était pas un sentimental. Il raconte sans niaiserie les pires risques encourus. On imagine cependant qu'il dût bien y avoir une certaine émotion à rencontrer Lénine. En tout cas si celle-ci fût présente, Jan Appel ne la laisse pas paraître. On sent qu'il est plus porté par les divergences politiques qu'il va défendre à Moscou avec courage et pugnacité face à des bolcheviks déchaînés contre ces "merdeux occidentaux" qui n'ont pas été fichus de faire la révolution chez eux et qui viennent "donner la leçon". L'émotion a aussi sans doute était refroidie du fait que Lénine fait lambiner les délégués du KAPD. Après avoir risqué leur vie en mer, on les fait attendre comme de vulgaires plénipotentiaires avant que le Lénine chef d'Etat ne consente à les recevoir comme un hiérarque qui leur lit son ouvrage le plus craintif et erroné: "le gauchisme maladie infantile du communisme".

Enfin, une des raisons pour lesquelles aucun groupe ultra-gauche n'a traduit depuis 30 ans cette auto-biographie de Jan Appel est sans nul doute sa conclusion où il explique pourquoi il a participé à la résistance. Le résistant anti-nazi restera toujours un prototype hybride et un cocu de l'histoire. Pour beaucoup (dont mon père) il n'y eût pas le choix. Et, excepté nos ultra-gauches de salon, aucun communiste de coeur ne pouvait refuser de combattre le nazisme.

Malheureusement, combattre le nazisme du point de vue de la "libération nationale" revenait à se placer sous l'aile d'une fraction bourgeoise. Bah, c'est quand même mieux d'avoir combattu le nazisme que d'avoir été collabo...

JLR

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Mon nom est Jan Appel, et je suis né dans un petit village du Mecklenburg en 1890. J’ai fréquenté l’école primaire et étudié la construction navale. Avant même ma naissance, mon père était socialiste. Je suis devenu moi-même membre du parti social-démocrate allemand (SPD) à l’âge de 18 ans. J’ai fait mon service militaire de 1911 à 1913, et par après j’ai été soldat dans la guerre. En octobre 1917, j’ai été démobilisé et envoyé travailler à Hambourg comme ouvrier des chantiers navals. En 1918 nous avons appelé à une grève des ouvriers de l’armement. La grève se déroula pendant une semaine au Vulcan-Werft (atelier de vulcanisation). Notre mot d’ordre était : « Paix ! ». Après une semaine la grève s’éteignit et nous eûmes lecture des clauses de guerre, car, selon la loi, nous étions encore sous régime militaire. A ce moment-là j’étais membre de la gauche radicale de Hambourg. Quand, en novembre 1918, les marins se rebellèrent dans les chantiers navals de Kiel et laissèrent tomber leurs outils, nous avons appris le lundi des travailleurs de Kiel ce qui s’était produit. Sur ce, un meeting clandestin se tint dans les chantiers navals, qui étaient occupés militairement. Tout travail cessa mais les ouvriers restèrent sur place dans les chantiers navals. Une délégation de 17 volontaires fût envoyée au quartier général des syndicats, afin de le réclamer un appel à la grève générale. Nous les avons obligés à tenir un meeting. Le résultat, cependant, fût que les biens connus dirigeants de l’Allgemeine Deutsche Gewerkschaftsbund (ADGB) (union générale des syndicats d’Allemagne) et le SPD adoptèrent une attitude négative à l’encontre de la grève. Il y eût des échanges très durs pendant plusieurs heures. Dans l’intervalle, une révolte spontanée avait surgie pendant le repas aux chantiers navals Blohm et Voss, où étaient employés 17.000 travailleurs. Les ouvriers quittèrent les usines et les chantiers navals de vulcanisation et se massèrent devant l’immeuble des syndicats. Les chefs s’étaient enfuis. La révolution avait commencé.

Pendant ces journées, j’avais pris une position à l’avant-garde de la gauche révolutionnaire du mouvement ouvrier en Allemagne. En tant qu’orateur dans les usines et aux réunions publiques, comme président des Revolutionäre Obleute (syndicalistes révolutionnaires), alors récemment formés, je me tournai dorénavant vers le Spartakusbund (Ligue spartaciste) et j’ai commencé à jouer plus tard un rôle dirigeant dans l’organisation du district de Hambourg du KPD (parti communiste d’Allemagne).

En janvier 1919 se tint un grand meeting des syndicalistes révolutionnaires au siège central des syndicats. On avait appelé à ce meeting juste après que Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht aient été assassinés à Berlin. C’est à ce meeting que j’ai fait la connaissance d’Ernest Thälmann de l’USPD (parti social-démocrate indépendant d’Allemagne), et durant la nuit suivante une marche a été organisée avec les camarades de l’USPD jusqu’aux casernes de Barenfeld. Le garde et les soldats endormis furent pris par surprise, et l’armement des ouvriers se fît sans coup férir. Nous avions 4000 armes. Après une bonne semaine de mise sur pied de notre force armée, ceux qui avaient des armes commencèrent à se disperser les uns après les autres pour finir par disparaître avec leurs armes. Se déplaçant hors d’Hambourg, la propagande avançant la formation d’organisations d’usines se répandait, et conduisit à la formation de l’AAUD (organisation générale des syndicats d’Allemagne) (syndicats ou unions ouvrières ? ndt). Au cours de ce développement et de sa clarification subséquente, dans un processus où ma fonction principale était celle de président des syndicats révolutionnaires, j’ai assumé, partiellement pour des raisons organisationnelles, la fonction supplémentaire de président du district de Hambourg du KPD. C’est pourquoi j’ai été délégué au (second) congrès d’Heidelberg du KPD.

Maintenant, nous sommes en 1966, près de 47 ans après le congrès d’Heidelberg. Il reste une petite question à examiner plus précisément concernant les discussions et conclusions du congrès. Il est suffisant de dire qu’à ce moment-là il était clair pour nous que la ligne et la politique du KPD étaient orientées principalement et comme but du parti vers la participation au Parlement bourgeois. Alors que nous gardions confiance dans nos convictions antérieures sur la politique à poursuivre avec le mouvement révolutionnaire des travailleurs, il était désormais impossible de rester comme tendance organisée au sein du KPD. Peu après, le district de Hambourg du KPD rejoignit aussi cette décision.

Quand, à Berlin, en avril 1920, le groupe de ceux du KPD qui défendaient la même vision que les camarades de Hambourg jetèrent les bases pour la formation du KAPD (parti communiste ouvrier d’Allemagne), ma participation au KPD se termina. Ce furent les journées du putsch de Kapp-Lüttwitz, et je me rendis dans la Ruhr. Avant mon retour à Hambourg, je fus informé qu’au congrès de fondation du KAPD, une délégation comprenant Franz Jung et moi-même, avait été élue en notre absence pour faire le voyage en Russie afin de représenter le KAPD au Comité Exécutif de l’Internationale communiste, qui tenait alors session. Il était de notre tâche de faire un rapport sur la fondation du KAPD, pour présenter ses vues et positions et pour délivrer les exigences appropriées concernant les positions traîtres adoptées par le comité central du KPD contre la lutte dans la Ruhr.

Il nous fût impossible de passer par voie terrestre, et le passage par la mer baltique était aussi fermé. La seule voie possible pour nous me semblait résider à travers la mer du nord et l’Atlantique, en passant par la Norvège et le pôle Nord puis dans l’océan Arctique, pour atteindre Archangel ou si possible Mourmansk. Nous étions, néanmoins, incertains si cette aire avait été reprise ou pas par les Russes, c'est-à-dire, si les Bolcheviks l’avaient réoccupée. Un peu avant des échos étaient apparus dans la presse selon lesquels la flotte américaine, avec des troupes supplémentaires en soutien qui avait occupée l’aire, s’était retirée. En dépit de cette incertitude, nous décidâmes de risquer le voyage. Une de mes connaissances, le camarade Hermann Knürfen, était marin à bord d’un bateau le Senator Schröder. Ce bateau faisait une croisière régulière toutes les quatre semaines dans les eaux profondes poissonneuses au large de l’Islande et, à chaque retour, demeurait au moins une semaine à Cuxhafen. Je partis à la recherche de Hermann Knürfen. Nous apprîmes juste à ce moment qu’il était à Hambourg, et le bateau aux docks de Cuxhafen prêt à partir pour son voyage au large dans les trois jours. Knürfen était volontaire, et la majorité de l’équipage également – vraiment, ce n’était pas pour rien que nous vivions des temps révolutionnaires !

Franz Jung et moi, avec un autre marin révolutionnaire, embarquâmes comme passagers clandestins. Au passage de la pointe d’Heligoland, nous avons mis aux arrêts le capitaine et ses officiers pistolets aux poings et enfermés dans la cabine arrière. Le voyage avait commencé le 20 avril et se termina le premier mai 1920, à Alexandrovsk, le port de Mourmansk. Nous ne possédions des cartes de navigation que pour la zone jusqu’à Trondheim, et au-delà tout ce que nous avions pour guide était une petite carte dans un livre de marin, qui offrait une vue du globe du pôle Nord vers le centre. Les côtes de Norvège, Russie, Sibérie et Alaska n’étaient visibles qu’en bordure de cette carte. C’étaient les seuls moyens de navigation par lesquels notre nouveau maître, le Capitaine Knürfen, pouvait gouverner le navire ! A l’extrémité nord de Tronshö (Hammerfest) nous avons souffert deux jours d’une tempête incessante de neige épaisse, tant st si bien que toute vision de notre distance à la côté était oblitérée. Nous étions tous extrêmement fatigués, d’autant que la situation incertaine imposait une attention continuelle et impérative. Dans ce sens, épuisés, nous naviguions vers le sud, cherchant la côte ou tout bout de terre ferme où nous aurions pu nous reposer. Ce n’est que par un hasard de bonne fortune que nous avons atteint le fjord d’Alexandrovsk, afin de jeter l’ancre et de contourner les balises de la flotte américaine. Il nous a fallu de longues heures avant de nous assurer si les Américains étaient partis. Derrière l’épais mur de neige apparut une colonne de fumée noire, à une distance considérable, qui s’approchait progressivement de nous et de notre navire à l’arrêt sur l’eau.

Alors, il nous sembla que du haut de la falaise surgissait un bateau à vapeur, et nous vîmes finalement un grand drapeau rouge. Ce fût pour nous le signe que nous étions arrivés au pays des Communistes. Après un moment un bateau remorqueur apparut, plein d’hommes armés. Nous fûmes remorqués entre les murs des falaises à l’intérieur des terres en direction de Mourmansk. Nous fûmes reçus comme camarades, puis emmenés par chemin de fer, construit pendant la guerre, jusqu’à Petrograd, nommée maintenant Leningrad.

A Leningrad, après avoir parlé avec Zinoviev, le président de l’Internationale communiste, nous avons voyagé vers Moscou. Là, plusieurs jours après notre arrivée, nous avons fait notre exposé au Comité exécutif de l’Internationale communiste. Notre cas fût discuté, mais de ce qui s’est dit je n’ai plus le souvenir. Cependant, nous n’avons pas reçu une honnête réponse, excepté qu’on nous a dit que nous serions reçus brièvement par Lénine lui-même. Et ceci ne se produisit pas avant une semaine ou un peu plus.

Lénine, naturellement, s’opposa à notre point de vue et à celui du KAPD. Pendant une seconde réception, un peu plus tard, il nous donna sa réponse. Il le fît en nous lisant des extraits de son pamphlet « La maladie infantile du communisme », sélectionnant les passages qu’il considérait comme nous concernant. Il tenait à la main le manuscrit qui n’avait pas encore été imprimé. La réponse de l’Internationale communiste, délivrée initialement par Lénine, était que le point de vue de l’IC était le même que celui du KPD, que nous avions quitté.

Après un agréable long voyage de retour via Mourmansk et la Norvège, il devint nécessaire pour Ian Appel de disparaître de la circulation, et mes activités en Allemagne se poursuivirent sous couvert de Jan Arndt. Travaillant si nécessaire pour garder ensemble corps et esprit, à Seefeld près de Spandau et à Ammerndorf près de Halle, en prenant la parole de temps en temps dans les meetings – c’était la teneur de ma vie. Beaucoup de mon activité se tenait en Rhénanie et dans la Ruhr, où j’organisais la publication régulière du journal de l’AAU « Der Klassenkampf » (« La lutte de classe »). En 1920, le KAPD fût accepté comme organisation sympathisante dans la IIIème Internationale. C’était l’aboutissement des discussions entre l’IC et certains leaders du KAPD. Ces derniers étaient Hermann Gorter de Hollande , Karl Schroeder de Berlin, Otto Rühle, l’ancien député du Reichstag, et Fritz Rasch. Au IIIème congrès de l’IC à Moscou, on nous offrit toute liberté pour exprimer notre point de vue sur la politique qui devrait guider notre travail. Mais nous n’avons rencontré aucun accord des délégués des autres pays présents. Le contenu principal des décisions qui furent prises à ce congrès soutenait que nous devions coopérer avec le KPD dans les anciens syndicats et dans les assemblées démocratiques, et que nous devions laisser tomber notre slogan « Tout le pouvoir aux Conseils ouvriers ». C’était la politique bien connue mise en avant dans les « 21 conditions » que nous devrions suivre si nous voulions rester une organisation affiliée à l’IC. Naturellement nous nous sommes prononcés contre cela et avons déclaré qu’une décision à ce sujet ne pouvait relever que de l’organe concerné du KAPD. Ce qui fut vraiment fait lors de notre retour. J’étais retourné dans la Ruhr et en Rhénanie-Westphalie pour recommencer mon activité, juste avant le congrès. Cette période d’activité s’interrompit en novembre 1923 avec mon arrestation. La cause immédiate en fût l’occupation de la Rhénanie et de la Ruhr par la France, mais l’accusation qui pesait sur moi d’avoir détourné un bateau ne pouvait être prise en compte qu’à Hambourg. Je réussis de peu à éviter l’extradition en me présentant comme un prisonnier politique et en invoquant l’assistance des autorités d’occupation française. Cependant, comme un accord d’extradition entre l’Allemagne et les pouvoirs alliés était imminent, je donnai mon accord à l’ordre de déportation sur Hambourg. Là je fus jugé et condamné, et donc envoyé un temps en prison. Cela se termina à Noël 1925.

En avril 1926, j’allai à Zaandam en Hollande pour reprendre ma vie comme ouvrier des chantiers navals. Immédiatement après mon arrivée j’écrivis à un camarade, que je ne connaissais pas personnellement mais dont on m’avait donné l’adresse. C’était Henk Canne-Meier. Avec Piet Kurman il me rendit visite à Zaandam. Tous deux soutenaient des idées identiques à celles du KAPD, et ils avaient rompu avec le parti communiste de Hollande. Mais ils n’avaient pas de contact avec le groupe existant du KAP en Hollande. Tous deux étaient de bons amis de Hermann Gorter. Nous avons échangé nos points de vue et expériences, et nous avons tenus des réunions régulières avec d’autres du même esprit. Dans ce sens nous avons graduellement cristallisé un groupe que nous avons nommé le GIC (Group of International Communists). La publication de nos positions et analyses trouva sa place dans le PSIC (service de presse des communistes internationalistes qui est l’organe d’information de l’IC.

Pendant mon temps de détention préventive à Düsseldorf, une période somme toute de dix sept mois, j’avais trouvé l’opportunité d’étudier les volumes I et II du Capital de Marx. En venant comme moi d’années de lutte révolutionnaire, suivies par une lutte interne fractionnelle au sein du mouvement communiste et avec la reconnaissance du fait que la révolution russe avait conduit à une consolidation d’une économie d’Etat sous la férule d’un appareil de parti, nous avions été contraints de forger le terme « communisme d’Etat » ou même finalement de « capitalisme d’Etat » afin de le décrire. Je réussis finalement à atteindre une vision cohérente. Le temps pour une réflexion mûrie était arrivé, le temps où chacun passe en revue l’expérience passée avec son propre examen intérieur, afin de trouver la route que nous les ouvriers devront prendre pour laisser derrière nous l’oppression du capitalisme et pour atteindre le but de libération du communisme.

En tant que travailleur révolutionnaire, je me mis à étudier le Capital de Marx pour comprendre le monde capitaliste comme je ne l’avais jamais compris avant. Comment on est forcé de suivre un développement intrinsèque de lois gouvernementales ; comment son ordre de base se déploie sur une longue période, dépassant toutes les conditions héritées du passé pré-capitaliste afin de consolider son mode de production, et ainsi former le levain pour de nouvelles et plus intenses contradictions dans son ordre interne ; comment il opère encore et toujours de nouveaux changements dans sa structure sociale, mais aussi simultanément comment ses contradictions les plus basiques sont poussées en avant vers de nouveaux et toujours plus éclatants niveaux d’antagonismes. On expulse d’abord le peuple travailleur du sol et de leur lopin de terre ; puis on s’approprie leurs moyens de vie indépendante créant ainsi des contradictions dans lesquelles on peut aussi s’approprier le produit de leur travail. Le droit de disposer des fruits du travail, et par conséquent des producteurs eux-mêmes, tombe entre peu de mains. Par conséquent, la vérité selon laquelle le seul aboutissement de la révolution russe a été que le parti communiste russe s’est constitué comme un instrument de pouvoir despotique totalement centralisé équipé avec tous les moyens nécessaires pour exercer l’oppression d’Etat sur les producteurs encore dépossédés et sans propriétés, a été un fait que nous avons été forcés de reconnaître. Mais nos pensées ont été plus loin : la contradiction la plus profonde et intense dans la société humaine réside dans le fait que, en dernière analyse, le droit de décision sur les conditions de production, en tant que telles et en quantité et en qualité, est ôté des mains des producteurs eux-mêmes et placé dans les mains d’organes hautement centralisés du pouvoir. Aujourd’hui, quarante ans après j’en reviens à cette prise de conscience que j’ai faite en prison, j’ai vu ce développement se dérouler à une plus grande échelle dans toutes les parties du monde. Cette division basique dans la société humaine ne pourra être dépassée que lorsque les producteurs assumeront finalement leur droit de contrôle sur les conditions de leur travail, sur ce qu’ils produiront et comment ils le produiront. Sur ce sujet j’ai écrit de nombreuses pages pendant que j’étais en prison. C’est avec ces pensées à l’esprit et avec les écrits qui y sont liés que je suis arrivé à rejoindre en Hollande le GIK.

Aujourd’hui, en 1966, quarante ans ont passé depuis que nous nous sommes réunis à Amsterdam comme groupe de communistes internationalistes (GIK), afin d’exprimer nos nouvelles pensées et de les discuter. La reconnaissance que la révolution russe a conduit à l’établissement d’un communisme d’Etat, ou plus précisément d’un capitalisme d’Etat, représente une nouvelle école de pensée en ce moment. Cela nécessite de se désillusionner soi-même de la vision qu’une forme de la société communiste, qui implique aussi la libération du travail des fers de l’esclavage salarié, devra être le résultat direct et nécessaire de la révolution russe. C’était de plus une conception totalement nouvelle de concentrer son attention sur l’essence du processus de libération de l’esclavage salarié, c'est-à-dire, par l’exercice du pouvoir des organisations d’usine, les Conseils ouvriers, dans l’hypothèse où le contrôle sur les usines et lieux de travail, et découlant de cela, l’unité de l’heure de temps de travail moyenne, comme mesure du temps de production et de tous les besoins et services à la fois dans la production et la distribution, pourrait être introduit. Dans ce sens l’argent et toutes les autres formes de valeur pourraient être abolies et ainsi privés de leur pouvoir de se manifester comme Capital, comme force sociale qui rend esclave l’être humain et l’exploite. Cette reconnaissance et son fruit, gagné par de longues années de travail dans le groupe des communistes internationalistes à Amsterdam, ont été menés à bien afin de réaliser le livre « Les principes fondamentaux de la production et de la distribution communiste », publiés par nous-mêmes. Ils consistent en 169 pages de script tapé à la machine. Afin de donner un bref aperçu de ce qui est écrit ici, l’extrait suivant de la présentation peut être cité : « Les principes fondamentaux de la production et distribution communiste ont eu leur origine pendant une période de quatre années de discussion et de controverses au sein du groupe des communistes internationalistes de Hollande. La première édition est parue dans l’année 1930 en Allemagne, publiée à Berlin par la Neue Arbeiterverlag (« New Workers’ Publishing house »), l’organe publiant l’AAUD, l’organisation révolutionnaire d’usine. Du fait des difficultés financières d’une édition hollandaise dans le format désiré, la possibilité de publier en temps nécessaire était au-delà de nos capacités. Au lieu de cela, ce travail fût publié sous forme de série comme supplément au service d’information de presse du groupe de l’IC (PSIC). Compte tenu de la traduction, cette édition n’est pas identique avec l’édition allemande, bien que rien d’essentiel n’ait été altéré dans le contenu. Les seuls modifications concernent la manière dont sont présentés les matériaux dans diverses formulations, afin de fournir une présentation plus claire. Il faut espérer que les « principes fondamentaux de production et de distribution communistes » mèneront à une discussion de fond et ainsi contribueront à la fois à une plus grande clarté et à unifier le but au sein du prolétariat révolutionnaire, et aussi avec pour résultat que les tendances variées adopteront une même démarche. »

Dans une nouvelle édition, il était écrit : « Ce livre ne peut expliquer qu’en termes économiques ce qui doit être achevé dans la sphère de l’action politique. Pour cette raison, il était nécessaire de commencer, non plus avec l’abolition de la propriété privée des moyens de production, mais avec l’élimination du travail salarié comme tel. C’est à partir de cette base que toutes nos pensées ont procédé. Notre analyse par conséquent conduit à l’inéluctable conclusion que, une fois que les travailleurs ont conquis le pouvoir par leurs organisations de masse, ils seront capables de maintenir ce pouvoir seulement à condition d’éliminer tout travail salarié de la vie économique et au lieu d’adopter comme point nodal de toute activité économique la durée du temps de travail passé dans la production de toutes les valeurs d’usage, comme mesure équivalente remplaçant la valeur argent, toute la vie économique sera révolutionnée. L’édition allemande de l’année 1930 a été plus tard saisie et détruite. Un court résumé a été par conséquent publié à New York, et aussi une version allemande dans le journal « Kampfsignal » (« Un appel à la lutte ») ; pendant qu’en 1955, à Chicago, une version en langue anglaise est apparue dans « Council Correspondence ».

J’ai personnellement participé à l’activité politique du groupe des communistes internationalistes en Hollande. En avril 1933 on m’a fait savoir qu’une « amicale Allemagne » souhaitait me revoir. J’avais été expulsé comme un indésirable aliéné ! Cependant, la commission d’aide policière d’Amsterdam m’accorda du temps pour mettre mes affaires personnelles en ordre. Le temps de la clandestinité était revenu. Jan Appel disparut à nouveau de la scène. Quand plus tard, la seconde guerre mondiale se termina, j’ai commencé à jouer un rôle dans le mouvement de résistance dirigé contre le régime des fascistes d’Hitler, qui avait occupé le pays en 1940. Après que Sneevliet, le bien connu leader de la gauche en Hollande, avec 13 à 18 camarades, aient été tués par un peloton d’exécution, nous avons continué à poursuivre la lutte de résistance avec le reste des camarades. Après 1945, nous avons publié le journal hebdomadaire « Spartacus ». Cela a continué jusqu’en 1948. Comme conséquence d’un sérieux accident de rue dont je souffre encore, j’ai dû être hospitalisé, et ainsi j’ai réapparu à la surface de la vie sociale. Un témoignage de plus de 20 bourgeois citoyens purs et durs fût nécessaire pour empêcher que je sois simplement éjecté !

Le fait que j’ai été actif dans le mouvement de résistance plaida en ma faveur. Jan Appel réapparut encore, mais il était nécessairement pour un moment de se dispenser de toute activité politique. C’est aussi la fin de ce volume de l’histoire de ma vie.