"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

jeudi 25 juillet 2013

UN BISOU A BERNADETTE LAFONT




 Les Bonnes Femmes de Claude Chabrol

Le meilleur hommage à Bernadette Lafont peut être pour vous, un soir de ce triste été, de vous brancher sur you tube, le film de Chabrol y est visible en son intégralité gratos (ainsi qu’un nombre incroyable de classiques du ciné, de Raimu à Carné) ; il est en plus sous-titré en anglais. Taxé de misogynie et bide à sa sortie « Les bonnes femmes » de Chabrol est un film superbe. Seul le spectateur superficiel peut gober l’apparente futilité des quatre femmes prolétaires parisiennes sans voir le drame qui se profile. Le film permet de mieux saisir la situation d’infériorité des femmes pendant les trente glorieuses, la légèreté condescendante et la violence avec laquelle on les traitait encore après-guerre. Elles n’obtiendront le droit à un carnet de chèque indépendant du mari qu’au début des années 1970, et, de même elles cesseront à la même époque d’être lourdement condamnées en cas d’adultère, au contraire du mari dont l’infidélité rimait avec vantardise mâle.

Quelle que soit sa figure, ordinaire, bourgeoise ou marginale, la femme chabrolienne est face à la société comme Don Quichotte l’était face aux moulins à vent : immobile ou combative, son action semble vaine. On peut d’ores et déjà affirmer que l’univers de Claude Chabrol se fonde bien entendu sur des personnages, des dialogues, des effets cinématographiques mais également sur le décor entourant chaque lieu, chaque société et chaque personnage. Chaque détail a son importance, eu égard à la fondation de la société : « c’est un regard charnel, prêt à happer toutes les matières susceptibles d’exister et de satisfaire son esprit, comme son palais, son œil ou son oreille » écrit Joël Magny à propos du cinéaste. Il faut donc être attentif à chacune des constructions de ses films. Ces éléments sont aussi bien des maisons, des objets de décoration que des vêtements, des accessoires purement féminins : ils contribuent au même titre que les paroles ou les actes à forger les caractères et à définir l’être de ces femmes. Mais c’est aussi le rapport à autrui qui fait de ces femmes un éventail d’êtres en perpétuelle évolution, en perpétuelle recherche d’elles-mêmes et d’ailleurs. (cf. Kriticat 2009)

Les débuts de Claude Chabrol sont tout de même autrement plus
passionnants que ses films récents : preuve en est avec ce subtil et moderne film, portrait très caustique de la poule parisienne, comédie joyeuse qui se teinte très agréablement d'une critique acide de la société. On dirait que Chabrol n'a pas vraiment de scénario ici, qu'il ne souhaite qu'une chose : filmer ces quatre jeunes filles modernes (Lafont et Audran en tête) dans leur liberté, dans leurs petites agaceries et leurs grandeurs. C'est un festival de moues, de cris d'orfraie, de petites postures et de gouaille. Les comédiennes, en roue libre mais en même temps très bien dessinées par les situations que Chabrol leur impose, explosent de fraîcheur. A travers elles, on sent bien que c'est un portrait de la jeunesse dans son ensemble que tente de capter le cinéaste. Il y arrive pleinement, réussissant à saisir tout un air du temps, toute une ambiance. En plus des comédiennes, il utilise avec grâce les décors naturels de Paris, par quelques plans documentaires du plus bel effet (l'esprit Nouvelle Vague à 100%, avec ces plans qu'on croirait volés) ; grâce aussi à ces personnages secondaires masculins impeccables : le patron de la boutique, clownesque, guitryesque ; le soldat en permission (Claude Berri) ; le grand bourgeois, mollasson et creux ; ou l'inconnu à moto qui suit ces jeunes filles, et qui va se révéler être un mélange de douceur mélancolique, de vulgarité rentrée et de violence inassouvie.
Car violence il y a dans Les Bonnes Femmes, et pas des moindres. Certes, l'ensemble est léger et pimpant comme tout. Mais peu à peu, on se rend bien compte que les errances et les enthousiasmes de nos donzelles cachent mal un profond ennui de la vie, une recherche désespérée d'un amour fou qui n'arrivera pas. Les rapports entre les personnages sont souvent de moquerie, de domination, avec en fond une violence concrète (qui apparaîtra d'ailleurs pleinement dans la dernière bobine). Au détour d'une scène, le sang apparaît (une vendeuse qui garde au fond de son sac un fétiche fait d'un foulard portant le sang d'un décapité), le viol apparaît (effrayant cadre sur deux gros visages d'hommes qui essayent d'embrasser Bernadette Lafont en même temps), la violence incontrôlée apparaît (la scène de noyade à la piscine). Le regard de Chabrol sur les gens de son âge est très loin d'être lisse, les nuits parisiennes, même hystériques, cachent des dangers et des frustrations bien nombreux. Quand le dernier plan apparaît, sous la forme d'un regard-caméra très bien amené, on revoit l'ensemble du film d'un autre oeil : des jeunes femmes, agaçantes, attachantes et jolies, oui, mais qui sont aussi la proie sacrificielle des hommes et de la société. Chabrolissime en diable, n'est-ce pas ? (Changols)



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