"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

vendredi 18 décembre 2015

Inaugurations: La "fraternisation" commémorative des factions bourgeoises




- à mes deux grands oncles de lozère revenus du Canada pour se faire tuer à Verdun,
- aux deux amis de mon grand-père maternel à Tauves (Auvergne), Joseph Dauphin et François Brugière tués « pour l'exemple » par les généraux chiens de guerre morts dans leur lit1
Qu'est-ce qu'il en aura inauguré des chrysanthèmes le père-la-patrie Hollande tout au long de cette année si sanglante pour les civils en France. Même le père la victoire, Clemenceau, n'a pas dû prononcer autant d'homélies durant les quatre années de la première boucherie mondiale du capital !
L'année 2015 se termine donc par l'accouplement hideux d'un design pacifiste bêlant et de l'accolade avec un politicien de droite plus court sur pattes que le principal locataire de l'Elysée, pour l'inauguration d'un monument « aux fraternisations », assez minable2 ; j'ai été le voir juste après le départ des officiels (je vous joins les images). Le principal champ de bataille de la première boucherie mondiale a pour tapisserie les terrils de Liévin et de Lens. Comment ne pas penser à ces mineurs qui n'eurent le choix que de mourir au fond de la mine ou au fond d'une tranchée boueuse, et qui furent aussi les otages de la soldatesque allemande dans la lourde bataille de Vimy ; le charbon était alors un des nerfs de la guerre comme le pétrole de nos jours.
L'ex-trotskien Jospin avait fait naguère un jeu de manches pour demander la réintégration à la nation des fusillés pour l'exemple, ce qui pouvait leur faire une belle jambe. Il fallait concrétiser, et au moment adéquat, au lendemain d'élections où les comtes régionaux de la monarchie républicaine – adoubés par l'habile monarque démocratique – se sont engagés à faire front contre la perfide duchesse-bassesse Le Pen, quitte à ridiculiser le chevalier Bayard Nicolas qui en est resté à la stratégie de la bataille de Crécy.
La rencontre très symbolique de gentihomme François Hollande et d'inféodé Xavier Bertrand a toutefois fait grincer des dents aux nobliaux de droite de l'hémicycle carolingien. "Faire des grandes photos de fraternité n'est pas la bonne réponse" aux problèmes des manants Français, a tancé le marquis Bruno Le Maire, candidat à la primaire LR pour la monarchielle de 2017. Réponse cinglante de Gérald Darmanin, damoiseau de Xavier Bertrand durant les provinciales : "Si les soldats français et allemands en 1915, en pleine boucherie de la Première Guerre mondiale, ont su fraterniser, je pense que le roi de la monarchie républicaine et le futur comte provincial ont le droit de se saluer devant un monument".
Notre roi du discours anaphorien, que dieu le bénisse, a voulu faire plaisir à un quarteron d'artistes et d'intellectuels de cour avec le cinéaste Carion 3 en inaugurant ce piètre monument à la fraternisation, plus rêvée que répandue, mais habilement récupérée par l'orateur gentilhomme de cour européenne.
Le cinéaste Carion avait réalisé un film niais « Joyeux Noël »4 avec une brochette des acteurs les mieux payés du spectacle, mettant en scène une fraternisation lors des Noël 1915 et 1916 à Neuville Saint Vaast, au cœur de la fournaise du champ de bataille particulièrement sanglant autour de la crête de Vimy où furent massacrés des milliers de canadiens. Il y eût nombre de fraternisations certainement. J'ai eu, en 1971, à Vanves, le témoignage d'un vieux poilu, qui crût longtemps être sourd, alors qu'on avait oublié un bourrage de coton dans ses oreilles ; il me raconta avoir passé une nuit entière sous les schrapnels à Verdun serré contre un soldat allemand dans le no man's land. Ils s'étaient séparés le matin, chacun regagnant son camp. Le pauvre pioupiou pleurait avec sa compagne en me narrant son histoire.
Le cinéaste assurait dans son article idyllique « les tranchées de la fraternité » que, et au vu de sa visite superficielle des archives militaires, il n'y avait pas eu d'exécutions « pour l'exemple » des soldats impliqués dans les fraternisations, because elles auraient été trop nombreuses. Franchement on ne peut pas croire cela. La fraternisation étant, au point de vue de la férocité des généraux en campagne militaire, pire que la désertion individuelle (car possible contagion communiste à l'époque).
C'est la première fois qu'un film de fiction basé sur une histoire vraie mais interprétée à la sauce des dominants et faiseurs de guerres actuelles sert de justificatif à un monument aussi hypocrite au creux d'un cimetière de tant de martyrs de la folie impérialiste.
Le monument est donc sponsorisé « bande annonce officielle » (comme on dit pour la réclame des films) pour limiter et aseptiser ce qu’il s’est passé à la faveur du Noël 1914. Résumé du cinéaste : des soldats ennemis (français et britanniques face aux allemands) se sont rassemblés, ont fait des matchs de foot, joué aux cartes, visité les tranchées adverses, enterré ensemble leurs morts, fait des messes en commun, échanger du tabac, etc. Il précise même sans rire que « cela ne s'oppose pas aux monuments aux morts »... pour la patrie sans jouer au foot eux. Non ce sera un monument complémentaire donc, somme toute pour réconcilier la nation entre agneaux sacrifiés et moutons noirs gentiment contestataires...
Fraterniser, ou échanger par-dessus des barricades, ce n'est pas nouveau. Cela s'est reproduit dans
maintes guerres sans impliquer une véritable action subversive contre la guerre capitaliste. Des officiers ont même été responsabilisés pour tolérer certains relâchements aléatoires, à la façon du Carnaval au Moyen âge. Pendant la seconde boucherie mondiale, par exemple les soldats italiens combattaient le lendemain les alliés d'hier, ou vice-versa. Les milices phalangistes libanaises pouvaient taper le carton avec des soldats israéliens pendant que d'autres s'occupaient de massacrer les arabes... La fraternisation, comme la désertion individuelle, ne sont pas révolutionnaires en soi !
Hollande et son cinéaste font mieux en truquant les enjeux historiques (allez on tape dans le ballon et après on recommencera à se tirer dessus...) et, en même temps en oblitérant les véritables fraternisations entre soldats allemands et russes au front de la révolution mondiale : crosse en l'air et fusillons les généraux. Ceux-là ne seront jamais commémorés par la bourgeoisie si sûre de son impunité, de sa modernité et de son éternité.
La fraternisation d'un soir à la Neuville Saint Vasst, comme c'est admis par tous les gangs militaristes du monde, fait partie du jeu. Elle est inoffensive comme le navet de Clarion.
LA FRATERNISATION SANS REVOLUTION EXALTEE PAR UN CHEF DE GUERRE
JAMAIS NOTRE AUGUSTE CHEF DES ARMEES SI PACIFISTE SUR ESTRADE NE REMET EN CAUSE LA GUERRE MONDIALE CAPITALISTE!
Notre grand « chef des armées » lesquelles il envoie en ce moment au casse-pipe en Syrie5,  a donc
béatifié un épisode absolument inoffensif dans cette région qui a été le principal champ de bataille de 14-18. Mais avec son discours de Gorgones il va faire mieux, il célébra « un acte de paix en temps de guerre » (quand au même moment avec son porte-avions gaulliste le gouvernement « socialiste » fait un acte de guerre en temps de paix, tout au moins en Europe riche). Tourné ensuite vers ses généraux, qui pouvaient se vexer de l'exaltation du pacifisme « lâche », le chef de nos armées précise immédiatement : « Ce n'est pas un grand acte dans la guerre mais un instant d'humanité ». On ne le voit pas à l'écran mais les généraux enrichis aspirent un bol d'air. Puis le chef des armées fit un signe onctueux aux curés de toute résilience : « la laïcité permet de protéger toutes les religions ». Il termine par une révélation sur les souhaits des footballeurs en uniforme, à laquelle les fraternisations d'un soir n'avaient même pas pensé (comme par exemple « fusiller les généraux et
foutre en l'air l'Etat bourgeois militariste »), mieux encore, le général-président invente a posteriori sans craindre de sifflets de la part du cercle des invités régionaux triés sur le volet de la classe supérieure des apparatchiks provinciaux : « les fraternisations rêvaient de l'Europe unie ». Et Jeanne d'Arc de ressembler à Angela Merkel ?
Car, ajoute-t-il : « la fraternité est une valeur de la République ». Pourquoi ses mégaphones tel le laid Askolovitch nous jouent-il du violon patriotique qui serait au nationalisme ce que le sucre est au poivre ? Dans les comparaisons historiques fangeuses et les approximations post 1945, peut-on « fraterniser » avec les assassins de Daech ? Parce que c'est une valeur de la république ?
. A lire : « Fusillé vivant » de Odette Hardy-Hémery. L’histoire de François Waterlot, ouvrier des mines, exécuté pour l’exemple en 1914, survivant, et mort au combat. Ca se passe dans la région.


le comte provincial est plus petit que le monarque républicain

à visionner absolument: https://www.youtube.com/watch?v=mEkkpy4rBj4
 

1Je raconte leur histoire dans mon livre « A chacun sa famille » (2010). Privé de permission de sortie, Joseph Dauphin se saoule comme un polonais, il se met à crier ensuite en direction du QG des officiers : « A bas la guerre ! Vive la Révolution ! A bas Poincaré ! Vive la Russie ! ». Le peloton d'exécution est aussitôt formé, son pote François Brugière doit en être. Non seulement il refuse mordicus mais il aggrave son cas : « Si on m'oblige à tirer, la balle ne sera pas pour mon camarade, mais pour le commandant du peloton ». Joseph est fusillé et François condamné à la déportation au bagne militaire d'Orléansville en Algérie, où il meurt peu après.
2 En voici la description autorisée sur Le Parisien : « Le visiteur pénétrera dans une tranchée constituée de pans de béton brut, entourée d’un parc paysager. Le cheminement permet de rejoindre un peu plus haut un terre-plein où ont été placées six silhouettes de soldats, jouant au football ou assis au pied d’un sapin de Noël, figurés dans des blocs de verre translucide. Christian Carion y voit un monument « à hauteur d’homme, pas du tout ostentatoire, presque pudique ». En réalité on a l'impression de passer dans une entrée de parking bétonnée (les tranchées étaient dégoulinantes de gadoue et de sang), et les silhouettes fondues dans des panneaux de verre font décor pour boutique de manucure ou salon de coiffure. Ce machin pacifisto-européen de trucage de la mémoire, laid et ras du bitume, a coûté du pognon : budget de 800 000 €, avec des aides de l’État (ministère de la Défense), de la Région, du Département du Pas-de-Calais et de mécènes privés. Une démarche de financement participatif sur Internet a en outre permis de recueillir 55 505 € auprès de 317 donateurs.
4Les critiques de cinéma les plus sagaces éreintent ce navet à sa sortie :
La critique de Positif : « C'est beau comme un traité constitutionnel, émouvant comme une première communion. Joyeux Noël quand même ! ».

Les inrockuptibles :  
« Tellement irréel, non maîtrisé, de mauvais goût, stupide, que ça en atteint parfois des sommets poétiques (...) c'est tellement abject qu'on soupçonne Carion d'être un provocateur surréaliste.
Cahiers du cinéma : « Rien de neuf dans la tranchée de l'imaginaire poilu de la Grande Guerre (...) Le vrai sommet international de cette Grosse Illusion ne se passe toutefois pas dans les tranchées, mais dans son plan de financement (...) que le film s'occupe de raconter, faute de mieux ». 

Ma critique: Voulant mélanger grandiloquence théâtrale (le ténor est moche et raide, le couple de chanteurs allemands est franchement ridicule de se la jouer opéra au milieu de tranchées décorées de sapins de Noël) et moquerie de la hiérarchie militaire façon Fernandel revanchard, le scénario ne tient pas la tranchée avec cette insistance en toc de nous faire passer pour un internationalisme démocratico-européen la succession des dialogues en langues...européennes. Les acteurs, surtout D.Boon et G.Canet sont mauvais, leurs casquettes trop grandes. Cornemuse criarde, messe débile, cantatrice incrédible au milieu des pioupious convenus, rien n'est drôle ni émouvant dans ce navet inférieur au moindre feuilleton américain, un scénario simplet et irréel qui voulait magnifier un des nombreux cessez-le-feu au cours du massacre généralisé, mais absolument pas subversifs ni inquiétants pour les généraux assassins.


5On ne supposera pas la possibilité de fraternisations avec Daech, sauf à interdire les couteaux de cuisine dans un éventuel repas commun. Notre chef des armées (de la bourgeoisie) nous le laisse certainement déduire, car il ne faut plus dire du mal des allemands, ces européens confirmés. L'Europe n'est-elle pas la fraternisation des peuples « classe » ?

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