"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

dimanche 12 novembre 2017

L'usine de rien : un navet qui ne vaut rien


Dans son cycle "les écrans documentaires", patronnés par trois perroquets lycéens, un quidam de la municipalité de ma banlieue Front de Gauche nous a bassiné en introduction avec un long couplet antiraciste à propos d'un fait divers. C'est l'ordinaire du vieux jus stalinien et trotskien lorsqu'il est question de lutte de classe, on trouve toujours des gadgets pour troubler les questions fondamentales : antifascisme de salon, obsession de Trump, antiracisme, écriture féministe, pinçage de fesses, et j'en passe. Le pitch du cinéma municipal mentait carrément : une histoire de reprise de l'usine de fabrique d'ascenseurs en autogestion par des ouvriers délocalisés, d'une durée d'une heure (non 3 heures!). Archi faux, au départ ce n'était pas un nouveau nanar sur l'autogestion nullarde à la Onfray ou FA, mais, pour les deux tiers une très bonne exposition de la situation des ouvriers frappés par la fermeture de leur lieu de travail, huis clos certes mais assez bien vu sur les magouilles des cadres et leur perversité pour acheter les futurs chômeurs avec des primes différenciées dans des entretiens individuels. Il n'y a pas reprise de l'usine, comme le croit le plumitif de Libération – ce qui ne signifie rien – par les ouvriers, mais occupation et désarroi. Ce désarroi n'est même pas le souci du collectif de bobos réalisateurs qui s'en fichent comme du lieutenant-colonel Otelo de Carvalho, ils aiment les barbus sales et dépenaillés qui discourent sur n'importe quoi.
Les querelles des ouvriers soupçonneux entre eux, leur honte du chacun pour soi, mais aussi leurs réactions violentes et leurs moqueries des patrons voyous sonnaient juste ; pour les deux tiers du film le tableau avait été étonnamment juste. Les petits bonheurs de la vie privée font contraste avec le monde en perdition du travail, mais cette vie reste limitée à la panne de libido à l'aurore (le chômage c'est du bromure) et aux soldes du samedi. Mais soudain tout déraille, les comédiens-ouvriers sont éjectés au profit d'un conclave de phraseurs (parodie de l'impuissance des intellos modernistes?) ; le seul lien avec le groupe d'acteurs précédents n'étant plus que le vieux chauve à tête de clochard en bataille, qui apparaissait en arrière plan sans qu'on sache qui l'avait invité, et qui bafouille en gros plan au milieu des vieux machins qui parlent d'on ne sait quoi. Le film de rien s'avère brusquement n'être que le scénario-magma méprisant et délirant d'un collectif d'intellectuels portugais modernistes, bourrés ou ayant trop kiffé (on a choisi de représenter la plupart des ouvriers comme laids et avec des têtes de marginaux ou de clochards et de ridiculiser ces ouvriers « ringards » qui « s'accrochent » à leur boulot de merde). Pauvres intellos merdiques, cinéastes de série B, qui connaissent que dalle de la classe ouvrière, ni aux ruses des syndicats gouvernementaux et encore moins des indispensables partis de classe. Qui végètent dans la lune moderniste et sans GPS pour se repérer dans leur brouillard fictionnel.

Avec les quelques bases préliminaires d'une compréhension du fonctionnement de la conscience de classe naturelle chez des ouvriers fort bien campée par les acteurs – face à l'attaque économique inopinée du patronat - on était en droit d'attendre que s'élève l'action vers une réelle réflexion marxiste, comme le laisse à penser un discours plaqué sur une séquence d'images d'usines vides (sans l'humour maoïste involontaire de Godard), radotant certes sur une crise qui ouvre la voie à un monde sans travail, CQFD ; voire assister à d'autres discussions entre ces mêmes ouvriers posant plus largement la question de l'extension de la lutte... et pas du tout cette baleine vide d'autogestion. Au lieu de quoi, ils deviennent soudain des pantins délirants devant un brasero ou des pitres inconsistants fouillant dans les tiroirs de l'usine morte, puis disparaissent de l'écran au profit d'un barbu boutonneux qui débite un discours inaudible débile (et en français!?) entouré de vieilles femmes et de pépères qui s'interpellent on ne sait trop sur quoi et pour quoi, mais disent n'importe quoi. Le film est fichu. Et nous les spectateurs floués dans nos espoirs de voir un film politique honnête au milieu de l'océan des fictions nullardes et des docus haineux anti-bolcheviques.

Salué en début d'année par tous les esthètes de la presse (qui imaginaient un nouveau perroquet à la Godard)1, ce film raté n'est qu'une nullité, qui se prétend sabotage organisé (de toute pensée cohérente?) par un groupe de bobos finalement très méprisants pour la classe ouvrière limitée à ses seules réactions « tripales », et ensuite, gommée simplement du scénario pour laisser place à des discoureurs complètement neuneus, vieux et sales qui l'examinent comme d'impuissants pions sans intérêt à la manière de n'importe quel manager ou observateurs d'insectes . C'est morne, bête et confus. J'ai beaucoup d'admiration pour le niveau des discussions des ouvriers portugais à l'époque de la révolution des oeillets, ainsi que pour la prestation des acteurs autochtones jusqu'au deux tiers du film, pas du tout pour l'immigré fayot, mais castrer ainsi la dynamique de la lutte et de la conscience de classe, cela s'appelle du sabotage nihiliste. Ne touchez plus au prolétariat crétins cinémateurs !
Clarinda, ouvrière depuis l'âge de 14 ans, a conclu : « les films portugais, vraiment nuls, ça vaut rien ». Un film de rien en tout cas et qui vaut... rien.



1Voici ce qu'écrivait Télérama (organe TV catho) : « Tout en croyant à une farce, on voit cette Usine de rien prendre de la force. Le rien que produit l’usine devient néant incommensurable dans une réflexion sur l’absurdité de tout le système capitaliste. Embarqués dans des discussions sans fin, les personnages défont et refont le monde d’aujourd’hui. Des hypothèses sur l’avenir sont lancées, comme celle, étonnante, qui prédit une société divisée en trois classes : la stratosphère (où les gens planeront en comptant leurs millions), le niveau des gens juste assez riches pour consommer (et faire marcher l’usine), et puis les égouts, où sera rejeté le reste de la population… ». Les gauchistes des Inrockuptibles écrivaient eux : « Bien que clairement rangé du côté des ouvriers, le film est politiquement très fin, montrant les partisans de l'autogestion, ceux qui s'estiment collectivement incapables de faire tourner l'usine sans le concours de cadres comptables, ceux qui n'ont pas le luxe de se perdre en palabres ou en grève trop longue parce que leur urgence est de faire croûter leurs mômes... ». Ce n'est pas du tout ce qui en ressort à cause du magma de propos invraisemblables et inopinés du cercle des vieux qui surgit au deux tiers du film et ne vient pas poser du tout des bases de réflexions de classe. Non ce film n'est ni fin ni du côté des ouvriers, IL LES MEPRISE!

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